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JOURNAL POUR UNE TOILE

Les dix chapitres de l’évolution d’une toile. janvier/février 2023

1/ Je marche régulièrement par le passage du labyrinthe tout près de chez moi, pour me rendre à mon atelier en admirant le calme provincial du lieu. C’est sur le chemin que je découvre un rouleau de toile peinte. Je l’emporte aussitôt sur mon épaule sans réfléchir, convaincu d’avoir un nouveau trésor en ma possession. Le poids me rappelle qu’il est peint. Je le déroule sur le sol de toutes les couleurs de mon atelier. Cette toile est parfaite pour que je puisse encore circuler autour et imaginer la peindre.


2/ Un froid intense m’empêche de travailler dessus et des cours de tai chi ont lieu sur la toile posée sur le sol le temps d’un court hiver rigoureux. Je ressens comme le besoin pour m’approprier la toile d’y figurer des signes kabbalistiques. Je dessine en son centre un cercle avec un compas géant récupéré il y a des années déjà, et dont je ne me suis jamais servi.


3/ Je trace finalement à la craie des cercles continus à l’intérieur du premier cercle et j’utilise un bâton de peinture à l’huile rouge pour dessiner des oriflammes courbes tout autour des cercles comme un soleil. La surface m’effraie quelque peu alors je décide de sortir tous mes tubes de peinture à l’huile et les pots également. Des caisses de matériel trié s’amoncèlent devant la toile. Finalement tracer avec les bâtons de peinture à l’huile se révèle très efficace pour commencer et que la magie opère.


4/ Je me retrouve pour la nouvelle année en 2023 et cela me parait de la science fiction. Après une semaine d’orgie de repas de fête en Normandie, je reste pendant plus d’une semaine le dos bloqué après avoir dansé avec des grosses chaussures. Je reprends mollement la direction de mon atelier. Un rendez-vous que je n’attendais plus est prévu ces jours-ci avec le retour du froid. Il s’agit d’une exposition à plusieurs dans un grand espace près de la place d’Aligre que j’adore. Du coup je me retrouve obligé de tout ranger, nettoyer le sol et rouler la toile si je veux pouvoir montrer mon travail disséminé dans l’atelier dans ses moindres recoins.


5/ Ça y est, j’ai une exposition prévue début mars où nous serions quatre dans un bel espace suffisamment grand. Le thème “Brisures” correspond avec mes séries de collages sur bois et les digigraphies d’après mes collages de format A4. Voilà plus d’un mois que j’ai découvert la toile sur le chemin de mon atelier. Je travaille toujours très empiriquement en recherchant une forme d’improvisation calculée. En traçant à la craie sur la toile je prévoyais de reproduire un tableau ancien que j’avais réalisé de façon très construite et travaillée. Il s’agit d’un tableau apocalyptique formé de différents cercles dont certains figurent une planète qui explose. Des personnages cadavériques se distinguent dans le bleu du froid.


6/ J'entreprends l’écriture d’un article que j’espère voir publié par l’intermédiaire du Conservatoire National des Arts et Métiers. J’y mêle mes propres représentations de la mort et la chronique des arts et des artistes qui me semblent correspondre au thème choisi. Cela me prend un temps fou de réflexion. Je me suis engagé après avoir vu la pièce de Delphine Horvilleur il y a plus de deux mois, à un atelier d’écriture qui a pour sujet Dieu, en toute simplicité. Finalement il s’avère le moment venu tant attendu qu’il s’agissait d’un atelier théâtre, tout ce que je déteste. Le fait est que, l'âge et l'expérience aidant, je me débrouille pas si mal, malgré mon rejet pour ces exercices d’expression corporels. Dès le lendemain, je reprends ma toile avec frénésie, et commence à étaler la peinture à l’huile à gros tubes. Je trace à la craie des schémas symétriques qui donnent à la forme l’aspect d’un grand vitrail. Je m’aide pour cela d’un grand compas qui me fait penser aux compagnons et aux architectes des cathédrales. Rien que pour ça j’adore utiliser pour la première fois ce grand compas que je gardais précieusement depuis tant d’années.


7/ Après le marché du vendredi, je décide d’aller voir un ami artiste dans son atelier-galerie de la rue Piat à Belleville, Ismaïl Yildirim. Je l’avais autrefois exposé dans la galerie associative des Artistes de Belleville, depuis il a fait son chemin. Je tombe sur lui car il est là à l’intérieur de son exposition en hommage à la femme irannienne assassinée. Il me propose de partager un thé et nous parlons longuement du marché de l’art. Je me rends compte que son œuvre est également tragique depuis toujours, c’est sans doute ce qui m’a attiré chez lui. Je repars à l’arrivée d’un nouveau venu, content de nos retrouvailles.


8/ C’est sur le chemin que je revois une amie de longue date, artiste plutôt sauvage. En discutant ensemble, elle me propose de monter chez elle ce qui est un privilège pour me donner des tubes de peintures à l’huile dont elle ne se sert plus. J’approuve et j’apprécie totalement mais le temps me manque pour tout embarquer. Je lui demande de pouvoir revenir et lui payer le reste des tubes. Elle me montre son travail de collage que je trouve superbe et son évolution extraordinaire. Je prends des photographies avec l’idée de les montrer à la commissaire d’exposition et d’exposer ensemble au 100ecs, sait-on jamais.


9/ Ce n’est que le lendemain de ma visite à l'Hôtel de la Marine avec les élèves du Conservatoire National des Arts et Métiers que je teste les tubes de peinture proposés par Agnès Delamarche. Je finis par m’éparpiller sur la toile et à perdre l’unité du croquis esquissé tout en m’amusant à tester quelques mélanges de vert et de bleu. Approvisionné de plusieurs kilos de peinture à l’huile, je peins progressivement la toile à même le sol et dessine à la craie des formes symétriques de chaque côté du tableau. L’idée de vitrail ne me quitte pas tout en voulant reproduire un ancien tableau que j’avais réalisé adolescent. Une vision apocalyptique de la planète avec une imagerie plus proche de Jérôme Bosch que de la science-fiction. Tous ces nouveaux tubes m’incitent à mélanger certaines couleurs et m'entraînent dans un tourbillon d’odeurs enivrantes. J’essaye de construire quelque chose et je trace alors à la craie blanche des formes de plus en plus géométriques voire symboliques. Cela ressemble à un œil-cible aux ailes gigantesques derrière lequel se dresse une pyramide esquissée au brou de noix. Des flammes rougeoyantes sur les côtés se livrent sur fond noir. Au fur et à mesure que la toile se remplit, j’étouffe sous sa dimension qui me prend tout l’espace de l’atelier, et j’ai hâte de pouvoir la replier et l’enrouler pour passer à de plus petits formats. Cela me permettrait de créer des esquisses et des nuances comme une suite en série de correspondances.


10/ C’est bon, cette toile me sort par les trous de nez, ce chef d'œuvre tant attendu, ah bon ! dirait Roselyne, il est temps que je range cette toile. Sur la route du marché de Belleville je découvre un grand tube en carton qui me servira à rouler cette toile. J’envisage d’un pot de peinture noir peindre le fond des toiles de plus petit format et improviser ainsi sur ces fonds noirs. Je n’aurais plus l’angoisse de la page blanche face à ces toiles vierges. Finalement une visite d’atelier m’oblige une fois de plus à tout ranger. Je décide alors de fixer la toile au mur avec l’aide de Carole Brun.


FIN



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